Thursday 4 June 2009

Njombé-Penja : une enclave dans la République

Vendredi 13 mars dernier, dans le sillage de la visite au Cameroun du secrétaire d'Etat français à la Coopération et à la Francophonie, qui avait fait une escale dans les plantations de Njombe Pendja, Mutations publiait une enquête sur les conditions de travail à la société Php (Plantations du haut Penja, détenue 60% par la Compagnie fruitière, basée à Marseille et à 40% à la fois par l'Américain Dole et par des intérêts privés camerounais), où quelques 6.000 employés sont utilisés dans des conditions peu recommandables et dénoncées par des Ong auprès de l'Union européenne. Cette enquête, qui mettait ainsi à nu un scandale économico-social qui dure depuis des décennies, et que le ministre Joyandet relativisait en indiquant alors à notre reporter que "la France privilégie le développement économique privé", n'a suscité aucune réaction de nos pouvoirs publics. Pas même du ministre en charge du Travail et de la Sécurité sociale qui, pourtant, à la veille du 1er mai dernier, rappelait un chapelet de menaces contre les patrons d'entreprises ne respectant pas les droits des travailleurs…Fanny Pigeaud, correspondante du quotidien français Libération au Cameroun, vient de prolonger ce scandale dans une enquête publiée le 18 mai dernier. Elle y confirme les informations sur le scandale économique, citant même un récent rapport du Comité catholique contre la faim et le développement (CCFD) et Oxfam-Agir ici qui classent Php parmi les entreprises "peu scrupuleuses" que l'Union européenne (UE) devrait contrôler, entre autres pour " accaparement des terres au détriment des paysans locaux et par des procédés douteux voire illégaux ; mauvaises conditions de travail pour ses 6 000 employés dont certains travaillent jusqu'à quinze heures par jour sans compensation ; absence de liberté syndicale et licenciements abusifs… "Mais si nos autorités politiques et administratives ont décidé de " couvrir ", pour des raisons évidentes d'intérêts personnels cette situation socio-économique, vont-elles continuer à fermer les yeux sur le scandale écologique annoncé dans la même enquête de Libération ?Selon Fanny Pigeaud en effet, au-delà du contraste désormais établi entre les vieilles et tristes baraques en bois et les plantations bien entretenues, les habitants de Njombe se plaignent de " la pollution causée par les fongicides et pesticides que la compagnie utilise. Et dont certains viennent d'être interdits par l'UE pour leur danger sanitaire. "Notre rivière, notre unique source d'eau, est polluée", assurent les habitants d'un hameau proche de Njombé. La population n'échappe pas non plus aux produits que l'entreprise répand par voie aérienne sur ses plantations. Dans la zone, les maladies les plus fréquentes après le paludisme sont, selon un responsable hospitalier, "les maladies respiratoires et les dermatoses", deux problèmes souvent associés à l'utilisation de substances chimiques. Mais il y a plus grave, affirme-t-elle : " Plusieurs témoins évoquent un nombre de cancers anormalement élevé. Impossible d'obtenir des éléments fiables sur cette question de la part de PHP. Son actuel médecin du travail est l'épouse du directeur des ressources humaines. Toutes ces données n'empêchent pas l'UE de subventionner la filière banane pour qu'elle améliore sa "compétitivité". Depuis dix ans, PHP et deux autres entreprises à capitaux étrangers se partagent chaque année 5 millions d'euros. Les autorités camerounaises ne vont pas s'en offusquer : PHP a les responsables politiques, administratifs ou judiciaires de la région dans sa poche. "En tant que chef traditionnel, je suis payé chaque mois par la PHP, confie une "élite" locale. Le sous-préfet, le préfet aussi."Cette enquête éclaire d'un jour nouveau les problèmes actuels du maire élu de Njombe Penja, Paul Eric Kingue, arrêté en février de l'an dernier et " accusé d'avoir participé à des actes de vandalisme chez PHP, en marge d'un mouvement national de contestation politique et sociale. Il a été condamné à six ans de prison. A Njombé, beaucoup estiment qu'il a en réalité été puni pour avoir accusé la compagnie de ne pas payer tous ses impôts. PHP "fait ce qu'elle veut à qui elle veut", ses dirigeants "sont capables de tout", résume un homme d'affaires originaire de Njombé qui ne veut pas être identifiable ", complète le journal français. Dans une lettre ouverte alors adressée au président de la République et publiée plusieurs fois par la presse, dont Mutations dans son enquête de mars dernier, Paul Eric Kingue partageait déjà cette analyse. Morceaux choisis : " Dès ma prise de fonctions le 25 septembre 2007 et après avoir constaté dans les livres comptables de la commune de Penja que les sociétés agro-industrielles exerçant dans cette localité ne payaient pas des impôts et taxes depuis bientôt trente ans (patente, impôts sur les sociétés, enregistrement…), j'ai saisi monsieur le Premier ministre, chef du gouvernement pour dénoncer cette situation qui ne permettait pas à ma commune d'asseoir une véritable autonomie financière. Il faut dire que le paradoxe dans lequel Njombe Penja vit est déconcertant : une zone très riche, avec des populations très pauvres. C'est pour corriger cette injustice que j'ai jugé utile d'écrire à Son Excellence monsieur le Premier ministre chef du gouvernement. Heureusement, cette requête n'est pas restée sans suite car le 03 décembre 2007, le directeur général des Impôts m'a saisi par courrier pour m'informer du bien fondé de ma requête. Dans ce courrier, le directeur général des Impôts décidait de reverser au régime de droit commun ces entreprises (Php, Spm, Caplain) qui faisaient perdre à la fois de l'argent à l'Etat du Cameroun et aussi à la commune, et au Feicom…Il est important de noter que les salaires des ouvriers de ces sociétés tournent entre 15 000 Fcfa et 25 000 Fcfa/mois. Dès que ces sociétés ont été notifiées par la direction générale des Impôts de cette décision, j'ai reçu un coup de fil de monsieur François Armel, expatrié, directeur général de la Php, qui m'a juré d'avoir ma tête à coups de millions Fcfa. Quelques jours plus tard, c'est Mme Caplain et le directeur général de la Spm qui me menaçaient, à leur tour, de me faire assassiner ou emprisonner, après m'avoir fait déposer de mes charges de maire (…)"Aujourd'hui, Paul Eric Kingue croupit toujours en prison, condamné à 6 ans de prison ferme, et la ville dont il a été élu maire, après l'exploitation de ses fils, est menacée d'une catastrophe écologique…

Par Alain B. Batongué

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