Friday 15 March 2013

Réponse à Mono Ndjana : une vision tronquée de la société camerounaise


Dans sa dernière interview, le Pr Hubert Mono Ndjana dans son analyse du phénomène des détournements de fonds publics au Cameroun et de la propension compulsive de certaines personnes à accumuler argent et biens matériels, nous a d’emblée sorti le joker : «D'après ma théorie de l'écart et de la norme (ndlr NPress : paragraphe :II- Détourneurs de fonds, potentiels dirigeants), notre société se caractérise par le fait d'avoir écarté la norme et d'avoir normalisé l'écart. Il s'agit bien d'un fait, et non d'une idée imaginaire. C'est pour avoir normalisé l'écart que les comportements d'écart n'étonnent plus personne. C'est de s'arrêter de détourner les fonds qui serait, au contraire, étonnant. » Ah! Après un moment d’hésitation dû au choc émotionnel que ne peut évidemment que provoquer l’évidence d’une telle épiphanie chez un biyayiste de la première heure et continu fervent défenseur du renouveau, on a hâte de continuer la dégustation. Tel un boxeur déchainé notre éminent professeur de philosophie qui rêve déjà du sénat enchaine : matérialisme vulgaire, mentalité digestive, politique du ventre, « notre cerveau, c'est le tube digestif »… Et voilà qu’il fait appel à la chrématistique d’Aristote qu’il décrète de facto comme un indice fort du sous-développement de l'ensemble. Le populisme est à son comble quand soudain vient l’uppercut : « Les Japonais sont riches et sérieux, les Camerounais, pauvres, improductifs et vaniteux. » Le dérapage est évident; le philosophe s’étant bizarrement lancé dans la généralisation et surtout dans la sphère économique- sans pour autant avoir pris la peine de discuter ses raccourcis avec ses collègues économistes- pour justifier sa diatribe.

La vérité elle est toute ailleurs ; car la différence de productivité entre les pays dits riches et les pays pauvres est en grande partie due au système de gouvernance, plutôt qu’aux individus eux-mêmes. Ce n'est pas seulement, ni même principalement, parce qu'ils sont plus intelligents et plus instruits ou encore sérieux que certaines personnes dans les pays riches sont des centaines de fois plus productives que leurs homologues dans les pays pauvres. Ils y parviennent parce qu'ils vivent dans des économies qui ont de meilleures technologies, des entreprises mieux organisées, de meilleures institutions et une meilleure infrastructure physique – toutes ces choses sont en grande partie résultantes des mesures collectives prises au fil des générations. Warren Buffet, le célèbre financier, avait expliqué ceci avec qualité, lors d’une interview télévisée en 1995: «Personnellement, je pense que la société est responsable d'un pourcentage très significatif de ce que j'ai gagné. Si vous me coller au milieu de Bangladesh ou au Pérou ou ailleurs, vous découvrirez à quel point ce talent va produire dans le mauvais type de sol. Je vais avoir du mal trente ans plus tard. Je travaille dans un système de marché qui récompense ce que je fais très bien - disproportionnellement bien».

Jeter l'opprobre sur un peuple qui à démontrer par le passé son dynamisme et son ingéniosité, et surtout en exonérant par manque de courage la figure de proue qui a et continue de présider à son déclin est une faute morale qui ne manquera pas d’être sanctionner par l’histoire qui dévoilera aux générations futures le silence complice et démagogue des têtes bien pensantes qui les ont précédé. La jeunesse camerounaise bien qu’abandonnée à elle-même -par la caste qui s’est accaparée de son avenir, en focalisant son action essentiellement sur les loisirs et la jouissance issue de bien collectifs- ne peut aujourd'hui que se réjouir que d’avoir passé « 30 ans sans mourir! » Du Buyam Sellam au Call Box en passant par le Bendskin, elle continue de se réinventer. Les bendskineurs sont sortis en grand nombre, au grand dam de certains, pour célébrer la reconnaissance de la nation par la voix d’un chef qui n’a aidé à leur éclosion que par son incapacité à créer des conditions propices à un véritable renouveau de l’économie camerounaise.

La majorité des gens qui vivent dans les pays aussi pauvres que le Cameroun se doivent de développer des qualités entrepreneuriales tout juste pour garantir leur survie. Dans nos rues, vous rencontrerez des hommes, des femmes et des  enfants de tous âges qui vendent tout ce que vous pouvez imaginer, et même des choses que vous ne saviez pas que vous pouviez acheter… Le problème ce n'est  donc pas l'absence de dynamisme entrepreneurial au niveau personnel, mais l'absence de technologies de production et des organisations sociales développées. L’absence de succès apparent de la micro finance qui pourtant rend disponibles de très petits prêts dans le but d’aider les moins nantis à se lancer dans la création d'entreprises témoigne des limites du mythe l'entrepreneuriat individuel.

Malgré un système éducatif archaïque, la jeunesse camerounaise continue aussi et heureusement à produire de la matière grise qui malheureusement profite très souvent à d’autres pays.

Il est triste de constater que beaucoup d’intellectuels camerounais ont choisit de passer toute une vie coincé dans le silence, alors que leurs paroles pourraient changer le cours de l’histoire. La vérité qui dérange c'est que notre élite dont Hubert Mono Ndjana fait partie n'a rien fait d’autre que de soutenir la dictature de Paul Biya au cours des 30 dernières années, parfois en collaborant avec le tyran, ou en lançant des attaques virulentes contre les opposants au régime avec leurs critiques féroces qui ont contribué à consolider pouvoir du « Nnom Ngui ».  Il règne et profite des avantages qui vont avec, mais le Pr Hubert Mono Ndjana ne trouve rien à redire sur le désastreux bilan de ses trente années à la tête de l’Etat.  Son enrichissement et celui de sa famille, son train de vie qui n'a de semblable que celui des monarques du golf... Tout ceci est omniprésent dans les conversations des pauvres camerounais qui travaillent dur sans y arriver alors qu'ils voient combien c'est facile pour ceux qui sont au premier banc.

Le professeur nous rappellera ensuite que le Cameroun est un pays scandaleusement riche, mais que certains se sont organisés pour se partager, entre eux seulement, les richesses du sol et du sous-sol, en excluant ceux qui n'appartiennent pas à leurs réseaux néocoloniaux. « La ligne d'exclusion, sur le terrain social, est d'une précision chirurgicale.» Une fois de plus le lecteur ne peut que s’interloquer… Hubert Mono Ndjana aurait-il tout d’un coup décidé de s’attaquer à l’héritier des colons qui n’est autre que Paul Biya? En insistant sur la précision de la qualité de l’exclusion, serait-il plutôt allé à la rencontre de Charles Atéba Yéné qui comme lui se plaignait déjà du paradoxe du pays organisateur dont les supporteurs selon lui -bien que zélés et fidèles- continueraient d’être à la traine?

Le diagnostic étant posé, le docteur nous prescrit comme traitement d’appliquer constamment bien la loi - «C'est la boussole qui guide la marche des Etats» - juste pour s’attaquer à la loi par la suite dans sa critique du Tribunal Criminel Spécial ; en insistant sur le caractère punitif de la loi, tout en ignorant le principe de réparation et de réhabilitation.

Et pour terminer, avant de nous de nous déclarer ses biens, un dernière charge ; «Incontestablement. Nous sommes des pécheurs en eaux troubles. Nous sommes des sorciers, allergiques à la lumière et adaptes d'obscurantisme  Sans véritable surprise, là encore il ne dira rien sur le multirécidiviste qui fait passer les lois, les viole et les change à volonté pour satisfaire sa vanité et son gout du pouvoir ; car il faut bien sûr le caresser dans le sens du poil pour espérer  un jour être appelé à des hautes fonctions.

Friedrich Nietzsche disait que: "Dans tout milieu où il est impossible à l'air vif de la critique publique de circuler, comme un champignon, une corruption innocente grandit". Il est donc aisé de comprendre pourquoi dans un pays comme le Cameroun qui a été gouverné sans ouverture par le même groupe de personnes depuis plus de 50 ans, la corruption comme une gangrène, se propage et devient partie intégrante et de la société. Une analyse critique et publique de l'action de notre gouvernement s’impose et suppose un débat sans complaisance sur rôle de celui-ci, pour pouvoir lutter efficacement contre le cancer que la corruption est devenue pour notre pays.

Un gouvernement ne peut pas être un fait accompli!  La souveraineté du gouvernement camerounais et donc sa légitimité ne peuvent venir que du peuple qu'il gouverne, sous la forme d'un contrat social qui permet au citoyen d'avoir un mot à dire sur son devenir. Nous avons évidemment un besoin criard de leadership dans notre combat existentiel contre la corruption, et un gouvernement illégitime qui n'a pas le soutien de la population ne peut fournir un tel leadership.




 Lucien Dissake


2 comments:

  1. Tres bon article Lucien.

    Joel.

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  2. Je n'ai pas accroché au fait que l'auteur questionne la moralité ou les motivations d'Hubert Mono djana (que je ne connais pas); pourtant , je salue la qualité de votre article, qui de façon globale, a permis de mettre en lumière les cercles de la corruption, et leurs conséquences concrètes sur le devenir du peuple . Toutefois, j'aimerais beaucoup savoir votre point de vue sur le constat de banalisation de la déviance que fait Hubert M... parce qu'au delà il est vrai de la géneralisation volontaire qu'il fait, et que vous dénoncez, il faut tout de même reconnaitre, que la perception même du crime et de la faute au Cameroun, est a priori bien plus complaisante qu'elle ne l'est ailleurs . En d'autres termes,la société Camerounaise est elle demandeuse de transparence et concoit elle son développement comme un objectif collectif, ou une ambition personnelle ?

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